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Tea Time and go

17 Octobre 2014, 14:16pm

Publié par Six Sophie

L'atmosphère est moite, ses vêtements lui collent à la peau, des gouttes de sueur perlent sur son front.

Elle attend son train.

Vieille dame de fer qui crache ses poumons à chaque roulement. Péniblement, elle avance sur sa ligne droite qui relie Ouagadougou à Bobo. Inexorablement, elle perce les terres arides de l'Afrique.

Sa tasse de thé au citron fume devant ses yeux perdus. Posée sur une paillote improvisée à l'extrémité Ouest de la gare, la poussière se mêle à l'effervescence de la ville. Ses pieds sont rougis par la latérite, son pantalon de toile beige est teinté par la terre. Le brouhaha des marchands qui s'affèrent autour d'elle, le ballet incessant des vieilles mobylettes vrombissantes, les klaxons des taxi-brousses cabossés; le bêlement des troupeaux de moutons qui vivent leurs derniers instants avant un égorgement programmé...Tout ça n'a aucune prise sur elle.

Hypnotisée sur le demi citron pressé reposant sur la soucoupe, son thé refroidit lentement.

Le temps passe, mais ça n'a non plus ça ne compte plus ici.

Elle est en dehors de sa vie.

Une vie qu'elle a perdue. Une vie qu'on a détruit. Comme ce demi citron, elle est écrasée, pressée, éventrée, la pulpe écorchée dont on a retiré tout le jus. L'acidité du fruit coule le long de sa gorge irritée d'avoir trop pleuré.

Un vent frais vient souffler sur la fournaise citadine. Elle ferme les yeux, apprécie l'instant.

Son thé est presque froid.

Elle sort un portefeuille de son sac de toile, aligne 3 photographies cornées sur la table.

Un couple sur une plage se tenant amoureusement l'un contre l'autre, le même couple en tenues de mariés, la femme au ventre arrondi posant devant une maison et un parterre de fleurs.

Elle effleure cette dernière image du bout des doigts et pose inconsciemment son autre main sur son ventre douloureux.

Une larme perle et vient mourir dans sa tasse de thé.

On devrait toujours aromatiser ses larmes.

Au citron pour leur donner du piquant.

A la menthe pour les rendre savoureuses.

A la verveine pour les aider à couleur tout au fond de la tasse.

Là, elle voudrait juste les faire bouillir pour qu'elles s'évaporent. Mais il y a des pleurs qui ne se parfument pas, hélas.

Un homme s'assoit à la table à côté, elle ne le remarque même pas. Il a la tenue typique, colorée et à motifs qui tranche avec le noir ébène de sa peau. Ici, les pistes sont multi-couleurs par les touches remuantes des habits traditionnels.

Un sifflement strident déchire sa bulle étouffante. En une seconde, elle ressent à nouveau la chaleur, son débardeur qui lui épouse la poitrine et le dos sous l'humidité, le vacarme de la vie qui s'active de part et d'autre.

Le train est là. Le thé n'a pas été bu.

Mécaniquement, elle se lève, ramasse son lourd sac à dos et part vers le quai.

Abandonnant, les photos et le thé sur la table comme elle a été abandonnée.

Ne plus avoir d'attaches pour ne plus s'attacher et qu'on puisse se détacher d'elle.

Le thé est froid...

Tea Time and go

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M
Un train nommé déplaisir
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